Pour faire la lumière sur les douleurs neurologiques quoi de mieux qu'un récapitulatif des divers traitements thérapeutiques (il y a beaucoup à lire mais c'est assez explicatif)
TRAITEMENT DES DOULEURS NEUROPATHIQUES
Introduction
Les douleurs neuropathiques sont aussi appelées douleurs neurogènes ou par désafférentation. En rhumatologie, elles sont en général dues à une lésion nerveuse périphérique. Leur diagnostic est parfois difficile en cas de douleurs mixtes associant une douleur neuropathique et une douleur nociceptive. La sémiologie peut être motrice, sensitive ou sensitivo-motrice. Ces douleurs passent souvent inaperçues et leurs caractéristiques sont rarement abordées avec le patient (brûlures, fourmillements, décharges électriques…) L’évaluation et la prise en charge nécessitent une approche globale, selon le modèle bio-psycho-social. En effet, il s’agit de douleurs qui se chronicisent souvent.
Le traitement des douleurs neuropathiques associe des traitements médicamenteux et non médicamenteux. Il nécessite d’informer le patient, de lui expliquer les mécanismes de la douleur et surtout de le rassurer.
Traitements médicamenteux
Les antalgiques de palier 1 et 2 et les AINS sont en général inefficaces. L’efficacité des autres traitements est en général modérée avec un tiers de répondeurs versus placebo. Cette efficacité dépend peu de l’étiologie douloureuse.
La plupart des études ont été effectuées dans la neuropathie diabétique et la douleur post-zostérienne. Les règles générales de prescription sont : une titration par paliers de plusieurs jours selon l’efficacité et la tolérance, une durée de traitement d’au moins 6 mois, une prise en compte des comorbidités avec une monothérapie en première intention.1,2
Les antalgiques
• TRAMADOL
Le tramadol du fait de son action monoaminergique et opoïde a montré une certaine efficacité (aux doses de 300-400 mg/jour) sur les douleurs des polyneuropathies et aussi sur la douleur post-zostérienne. Il est préférable d’éviter d’associer le tramadol à fortes doses avec des antidépresseurs agissant sur la recapture de la sérotonine, du fait du risque de syndrome sérotoninergique.3,4
• OPIACES
La douleur neuropathique peut être améliorée par les opioïdes de palier 3 à des posologies élevées. Des études contrôlées ont montré une efficacité de la morphine, de la méthadone et de l’oxycodone dans les douleurs neuropathiques du diabète, du zona, et du membre fantôme, à des posologies de300 mg/jour de morphine. Cependant, le recours aux opiacés dans le traitement des douleurs non cancéreuses nécessite des précautions. Il ne s’agit donc pas de traitements de première intention.5
• ANTIDEPRESSEURS
L’efficacité des antidépresseurs tricycliques est bien documentée dans la littérature dans le traitement des douleurs neuropathiques. L’amitriptyline Laroryl et l’imipramine Tofranil ont l’AMM dans les algies rebelles, l’imipramine
Tofranil et la clomipramine Anafranil dans les douleurs neuropathiques de l’adulte. Les études (de faible puissance) ont montré un NNT (Number Need to Treat) moyen de 2,7 pour obtenir un soulagement de 50%. Ceci suggère en effet une bonne efficacité. Cependant le NNH (Number Need to Harm) est de 3,4 soulignant la mauvaise tolérance de ce traitement. L’effet antalgique, apparaît en quelques jours. La posologie de départ est faible (10 à
25 mg/j d’amitryptiline par exemple) et nécessite des précautions chez le sujet âgé. On augmente progressivement la posologie, habituellement jusqu’à 50 à 75mg/jour.6,7,8
Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (ISRNA) sont une bonne alternative aux tricycliques compte tenu des effets secondaires de ces derniers. Plusieurs études contrôlées ont confirmé l’efficacité de la venlafaxine Effexor à des posologies plus élevées que pour le traitement de la dépression (150-225 mg/jour) et de la duloxétine (60-120 mg/jour). La duloxétine a l’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les neuropathies périphériques du diabète chez l’adulte. Une étude comparative a montré davantage de répondeurs à l’imipramine qu’à la venlafaxine.7,8
Au total, les tricycliques sont les antidépresseurs les plus efficaces mais les moins bien tolérés. Les inhibiteurs mixtes de la recapture NA/5HT (ISNRA) telle la venlafaxine et la duloxetine sont modérément efficaces mais mieux tolérés.
Enfin, les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont peu, voire pas efficaces, mais bien tolérés (fluoxétine).
Les antiépileptiques
La plupart des antiépileptiques ont une bonne efficacité sur la douleur neuropathique.4,7,8,9,10,11
La gabapentine Neurontin (AMM : douleur neuropathique périphique) et la prégabaline Lyrica, (AMM : douleurs neuropathiques périphériques et centrales), ont fait la preuve de leur efficacité, dans les douleurs post-zostériennes et la douleur neuropathique du diabète. Ces molécules améliorent aussi le sommeil et la qualité de vie.11 Leur efficacité a également été rapportée dans les douleurs du syndrome de Guillain-Barré, du membre fantôme et les douleurs neuropathiques du cancer (gabapentine) ainsi que les douleurs d’origine médullaire (gabapentine, prégabaline). Il n’y pas d’étude comparant les deux molécules. La posologie moyenne efficace de la gabapentine est de 1800 mg et de la prégabaline de 300 à 600 mg/ jour (efficacité dose-réponse).10 D’après Finnerup 2005 et Attal 2006, le Number Need to Treat (NNT) pour obtenir un soulagement de 50% des douleurs neuropathiques est d’environ 4 pour la gabapentine et la pregabaline (études de grade méthodologique A).7,8
L’oxcarbazépine Trileptal est efficace sur la névralgie faciale et à une moindre mesure dans la douleur neuropathique du diabète (une étude avec résultats modeste et deux études négatives).9
La lamotrigine Lamictal (200-400 mg/jour) a fait la preuve de son efficacité dans les neuropathies douloureuses du diabète et les douleurs de l’AVC. Ce médicament a cependant des risques rares mais graves d’allergie (syndrome de
Lyell, épidermolyse). Il n’a pas l’indication dans la douleur neuropathique.
Le clonazépam Rivotril est l’un des antiépileptiques les plus prescrits dans les douleurs
neuropathiques en France. Cependant, aucune étude n’a jamais montré son efficacité dans le traitement de ce type de douleurs. Il est en général prescrit pour ses propriétés hypnotiques et anxiolytiques.
La carbamazépine Tégrétol a l’AMM dans le traitement des douleurs neuropathiques. C’est un traitement très utile de la névralgie faciale. Du fait de ses effets indésirables, son utilisation se limite à cette indication.
Au total, la gabapentine et la prégabaline sont les antiépileptiques les plus étudiés dans cette indication et ont une bonne sécurité d’emploi. La carbamazépine et l’oxcarbazépine sont utilisés uniquement dans la névralgie faciale et la lamotrigine a une efficacité variable.
Les anesthésiques locaux
Les anesthésiques locaux ont une efficacité sur les douleurs neuropathiques. L’efficacité de la lidocaïne en topique a été rapportée dans la douleur post-zostérienne et pour les douleurs nerveuses périphériques avec allodynie. Des patchs de lidocaïne à 5% sont disponibles en France sur ordonnance.12
La capsaicine
La capsaïcine, extrait du paprika, est efficace dans la douleur post-zostérienne et les douleurs post-chirurgicales du cancer. Cependant, elle induit des brûlures en début de traitement qui peuvent être responsable d’arrêts.13
Le cannabis
Les cannabinoïdes (voie sublinguale) ne sont pas disponibles en France. Une étude contrôlée multicentrique a récemment rapporté leur efficacité sur les douleurs neuropathiques centrales de la sclérose en plaques.14
Les autres médicaments
D’autres traitements pharmacologiques ont été étudiés avec des résultats controversés, dans les douleurs neuropathiques (méxilétine, bupropion, clonidine, baclofène, kétamine, amantadine).
Les associations de traitements
Les associations de classes différentes d’analgésique sont possibles dans le traitement des douleurs neuropathiques rebelles. Il est important de réserver ces prescriptions aux équipes spécialisées et en seconde intention (gabapentine-morphine, gabapentine-venlafaxine…).15
Recommandations pour les traitements médicamenteux
En 2005 et 2006, des recommendations européennes ont été publiées.7,8,11 Celles-ci mentionnent que le traitement de première intention des douleurs neuropathiques, doit avoir fait la preuve de son efficacité et d’avoir un bon rapport efficacité/tolérance. Sur ces bases, l’équipe de N. Attal (Ambroise Paré, Boulogne) a proposé un algorithme thérapeutique pour le traitement de première et seconde intention des douleurs neuropathiques, notamment périphériques (Figure 1).7
Figure 1 : Stratégie thérapeutique dans les douleurs neuropathiques (traitements de première et seconde intention).7Traitements non médicamenteux
Neurostimulation
• TENS
La neurostimulation transcutanée périphérique est un traitement largement utilisé par les spécialistes de la douleur pour les douleurs neuropathiques périphériques. Elle utilise la théorie du « gate control » en stimulant les grosses fibres sensitives, qui activent les interneurones inhibiteurs, qui inhibent à leur tour la conduction de l’influx douloureux par les fibres de la douleur (de petit calibre A delta et C). Deux modes de stimulation peuvent être utilisés ; le mode conventionnel et le mode acupunctural. L’indication idéale est une douleur limitée à un seul territoire nerveux périphérique, superficiel, aisément stimulable. En cas d’anesthésie (inefficacité) ou d’allodynie trop sévère (risque de douleur liée à la pose des électrodes) la neurostimulation est difficilement réalisable. En pratique, on prescrit la location du neuro-stimulateur et l’achat des électrodes. Le remboursement est lié à la prescription initiale par un centre de la douleur ou un médecin qualifié (capacité douleur). On apprend au patient à placer les électrodes autocollantes avec gel (en cas d’allergie on proposera des électrodes non autocollantes en ajoutant un gel de contact) et à les relier au neurostimulateur (comme une sorte de baladeur à mettre à la ceinture ou dans une poche de vêtement). On explique au patient comment augmenter progressivement l’intensité du courant (courant de haute fréquence et de faible intensité) jusqu’à ressentir des fourmillements ou des battements indolores dans la zone habituellement douloureuse. Ensuite, il est nécessaire d’évaluer avec le patient la technique et les résultats, assez régulièrement, surtout au début. L’efficacité optimale n’apparaît souvent qu’après plusieurs séances. On commence par 3 à 4 séances par jour de 30 à 60 minutes chacune.16,17 Les contre-indications sont la grossesse et l’existence d’un stimulateur cardiaque. Malgré l’utilisation large de cette technique, peu d’études dans la littérature ont confirmé son efficacité.18
• STIMULATION MEDULLAIRE
La stimulation médullaire est de moins en moins utilisée. Il s’agit d’une technique relevant de centres spécialisés. Cette méthode de stimulation renforce les mécanismes de
« gate control » et bloque la transmission des signaux douloureux dans le faisceau spino-thalamique.
Les indications sont la douleur neuropathique sévère, invalidante et rebelle au traitement médical bien conduit y compris la neurostimualtion transcutanée. L’indication privilégiée est la sciatique neuropathique. En pratique, une évaluation pluri-disciplinaire avec bilan neurophysiologique et consultation psychiatrique sont proposées. Une hospitalisation est nécessaire pour la mise en place sous anesthésie d’une ou deux électrodes percutanées. Les contre-indications sont un conflit disco-radiculaire en évolution, une toxicomanie, un sepsis, des troubles de la personnalité, la recherche de bénéfices secondaires.17,19,20,21
• AUTRES
Compte tenu de la chronicisation fréquente de ces douleurs, une approche globale et multidisciplinaire est indispensable. Les approches non médicamenteuses sont variées. Il s’agit de l’approche cognitivo-comportementale, de la relaxation, de l’hypnose, de l’acupuncture…22
Conclusion
En pratique quotidienne, il est important d’évoquer le diagnostic de douleur neuropathique qui peut passer inaperçu. En effet, il existe des traitements spécifiques efficaces. Les antalgiques classiques et les AINS ne sont pas efficaces. Les antidépresseurs tricycliques, la gabapentine, la prégabaline et les opiacés ont confirmé leur efficacité. La duloxétine, la venlafaxine, le tramadol, les patchs de lidocaïne et la capsaïcine ont montré une efficacité dans certaines indications. En revanche, les résultats sont contradictoires ou l’efficacité est faible pour les IRS, le topiramate, la lamotrigine et l’oxcarbazepine.
La hiérarchie des traitements médicamenteux et leurs associations ont fait l’objet de recommandations internationales. Les modalités pratiques nécessitent des précautions : titration par paliers de plusieurs jours selon l’efficacité et la tolérance, durée de traitement d’au moins 6 mois, prise en compte des comorbidités, monothérapie en première intention, évaluation régulière. Ces traitements médicamenteux s’inscrivent dans une prise en charge globale dans laquelle une information claire du patient est indispensable pour favoriser l’observance (explication de la douleur neuropathique, de sa cause, de son retentissement, intérêt des antidépresseurs, délai pour obtenir une antalgie, effets indésirables attendus…)
Les approches non médicamenteuses selon le modèle bio-psycho-social ont un rôle important à jouer compte tenu de la chronicisation fréquente de ces douleurs.