SITUATIONS HAUTEMENT PROBLÉMATIQUES- Les ruptures de stock se multiplient « Depuis 2006, les professionnels de la santé constatent une hausse importante du nombre de ruptures d’approvisionnement, ce qui conduit à des situations hautement problématiques, d’autant plus quand le produit de remplacement est également en rupture ou le devient rapidement », constatait déjà fin 2012 le conseil de l’ordre des pharmaciens.
Les difficultés industrielles sont à l’origine de 38 % des cas, selon l’ANSM.
« La mondialisation et la complexité croissante des circuits de fabrication sont un élément de fragilité important », souligne François Bruneaux, directeur adjoint de la surveillance à l’ANSM. Pour des raisons économiques, le principe actif est ainsi très fréquemment produit en
Inde ou en
Chine : 60 % à 80 % des principes actifs sont aujourd’hui fabriqués hors d’Europe, contre 20 % il y a trente ans. Le médicament brut est ensuite expédié en
Europe ou aux Etats-Unis, où les laboratoires finalisent la formulation. L’optimisation des sites de production est aussi un facteur de risques.
« Pour rentabiliser leurs sites, les industriels doivent faire tourner leurs usines à 70 % ou 80 % de leur capacité, ce qui leur laisse peu de marge pour s’adapter en cas d’augmentation brutale de la demande », ajoute François Bruneaux.
L’étape suivante – la fabrication de comprimés avec différents dosages par exemple – peut
être localisée ailleurs, de même que le conditionnement et la « customisation », en fonction des normes de chaque pays (le vignetage est ainsi une particularité française). Au final, le médicament aura parcouru des milliers de kilomètres avant d’arriver à l’officine ou à l’hôpital. Et le moindre grain de sable dans l’un de ces multiples rouages suffit pour
bloquer toute la chaîne d’approvisionnement.
Dans le
rapport rédigé à cette occasion, on apprend que les pénuries et les ruptures d’approvisionnement de médicaments se multiplient depuis plusieurs années et que le phénomène est en augmentation au niveau mondial comme aux échelons nationaux.
- Des questions économiques
En pratique, ce phénomène a diverses origines qui sont toutes ou presque de nature économique. Il peut s’agir de l’abandon de la production de certaines matières actives encore utiles à la santé publique, de ruptures par défaut de qualité des matières premières importées ou de pénuries du fait de l’abandon des productions de certaines formes pharmaceutiques de faible rentabilité. Sans compter les multiples vicissitudes concernant les politiques de gestion des stocks et de circuits de distribution, les appels d’offres publics et les difficultés inhérentes aux médicaments pédiatriques et orphelins.
Ce que le prescripteur, le pharmacien et le malade français perçoivent en bout de chaîne trouve son origine première dans des mouvements tectoniques d’ampleur mondiale. A commencer par les demandes croissantes émanant des populations des pays de moins et moins «émergents» où se situent désormais les principaux lieux de production des matières premières. Entre 60% et 80% des matières actives à usage pharmaceutique sont désormais fabriquées hors Union européenne, principalement en Inde et en Asie. Cette proportion était de 20% il y a trente ans.
On peut aussi voir là une conséquence perverse d’un souci légitime de l’environnement.
«Le jeu combiné de la mondialisation, de la crise économique, de l’augmentation des exigences réglementaires, pharmaceutiques et environnementales fait que l’on assiste en Europe à l’abandon de fabrication de matières actives à usage pharmaceutique», souligne ainsi l’Académie de pharmacie.
Cette institution y ajoute la perte quasi-complète d’indépendance de l’Europe en sources d’approvisionnement en matières actives, la perte du savoir-faire industriel correspondant. Quant au tissu industriel européen de la chimie fine pharmaceutique, il est confronté à des normes environnementales sans commune mesure à celles s’imposant aux opérateurs de pays tiers.
C’est là une situation nouvelle et à bien des égards hautement problématique du point de vue de la santé publique. Ce phénomène qui prend constamment de l’ampleur et qui n’a rien de spécifiquement français est pour beaucoup le symptôme d’une globalisation mondiale de la fabrication des spécialités pharmaceutiques et de la fuite de la chimie d’un Vieux Continent où elle prit naissance et triompha.
Ces situations de ruptures de stocks se multiplient et inquiètent. Les pays de l’Union européenne sont totalement désarmés vis-à-vis de la Chine et de l’Inde devenus des géants de la chimie pharmaceutique.