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Souris paralysées: enquête génétique
A l'issue de longues investigations, des chercheurs de l'Université de Genève ont identifié les causes génétiques du handicap des rongeurs. Une voie pour le traitement de certaines formes de paralysie?
Il est des cas où la démarche scientifique à tout d'une enquête policière. Fins limiers, des généticiens de l'Université de Genève (UNIGE) ont réussi à expliquer pourquoi des rongeurs avaient les pattes inférieures paralysées.
Cette «superbe histoire», comme la qualifie Denis Duboule, directeur du Pôle national de recherches Frontiers in Genetics, démarre il y a huit ans. Nous sommes au Jackson Laboratory américain, la «Mecque des souris» selon l'embryologiste genevois. Par hasard, un chercheur y découvre une souris dont les pattes arrières sont paralysées. D'autres l'auraient simplement détruite. Mais lui, en bon généticien, a aussitôt croisé ce rongeur avec d'autres, sains, pour voir si ce handicap était transmissible. Tel était bien le cas; la moitié des descendants traînaient, eux aussi, sérieusement les pattes arrières. «C'était très bizarre», commente Denis Duboule. La paralysie provenait d'une mutation «dominante» que le chercheur américain, empreintes génétiques à l'appui, a localisée. Elle se trouve sur le chromosome 2, dans une région connue pour abriter les «gènes architectes».
Gènes constructeurs
Un bon indice. Ces gènes, dont la découverte a fait la renommée de Denis Duboule, interviennent lors du développement embryonnaire et sont en fait les maîtres d'œuvre de la «construction» des membres.
Décidant de passer la main, l'investigateur d'outre-Atlantique a envoyé ses souris mutantes au laboratoire romand. Le jeune chercheur Basile Tarchini s'est aussitôt penché sur leur cas, et il a rapidement constaté que, sur la dizaine de gènes architectes qu'ont habituellement les rongeurs, il en manquait plusieurs aux souris handicapées. Tout se passait «comme si le chromosome avait été coupé avec des ciseaux», raconte Denis Duboule. Cela aurait pu être la clé de l'énigme. Seulement voilà: entre-temps, les biologistes avaient constaté que les animaux qui étaient totalement privés de ces gènes constructeurs, avaient certes des membres anormaux, mais capables de bouger. «On n'y comprenait rien», se rappelle le directeur de l'équipe. Il a fallu des années d'un travail minutieux pour trouver le fin mot de l'histoire.
Alignés sur le chromosome, les gènes architectes jouent chacun un rôle précis dans la formation des membres. Selon la place qu'ils occupent dans la séquence, ils président au développement, dans la moelle épinière, des cellules nerveuses actionnant les pattes avant ou arrière (voir schéma). Si quelques-uns de ces gènes font défaut, ceux qui restent s'engouffrent dans la brèche; ils font le travail de leurs acolytes disparus, mais de travers. Comme si un architecte qui, toute sa vie, n'aurait conçu que des fenêtres, profitait de l'absence d'un collègue pour dessiner des toits. Chez la souris, cela se traduit par des pattes inférieures dépourvues de nerfs moteurs importants, et qui sont paralysées. «C'est aussi simple que cela», conclut l'embryologiste.
L'énigme était résolue. Mais elle a surtout permis de mieux comprendre la genèse et l'organisation des cellules nerveuses qui contrôlent l'activité motrice de nos bras et nos jambes. Et qui sait? A terme, cela pourrait ouvrir la voie au traitement de certaines formes de paralysie. N'en déplaise à ceux qui, par voie d'affichage, affirment que les recherches sur les souris n'ont jamais rien apporté aux hommes.
http://www.nouvo.ch/h-169 :D